mercredi 3 janvier 2007

Le droit moral des auteurs supérieur aux contrats qu'ils signent ?

Dans la jungle des contrats entre les auteurs et les maisons de disque ces derniers profitent souvent de l'incrédulité des premiers pour leur faire signer n'importe quoi.
Ici, ce sont Gilbert Montagné et Didier Barbelivien qui après 10 ans de procédures et jugements ont enfin gagné le droit de se tromper dans leurs contrats !

Cour de cassation en cour de cassation, le contrat qu'ils avaient signé en 1983 stipulait que le producteur pouvait faire toutes les modifications qu'il voulait sur les textes et mélodies de l'oeuvre "On va s'aimer". C'est ainsi qu'en 1997, le "On va s'aimer", s'est transformé en "On va fluncher". Les auteurs en question s'en aperçoivent, et portent plainte en vertu de leur droit moral et au respect de l'intégrité de leur oeuvre en demandant l'arrêt immédiat de la campagne publicitaire et des réparations.

Deux cours tranchent en faveur du producteur en déboutant les auteurs sous prétexte qu'ils ont signé un contrat (et que donc ils savent lire...). En 2003, la Cour de cassation a annulé la décision en précisant que l'auteur ne peut abandonner a priori son droit de regard sur les utilisations sur ses créations même s'il veut s'en dessaisir. Retour à la Cour d'appel en 2004 qui sans dévouer la Cour de cassation stipule qu'une oeuvre "populaire" restait dans le "populaire" en étant mentionnée dans la campagne de publicité de Flunch, restaurant "populaire" (parfois on se pose la question si les juges sont des personnes ayant fait des études... juger de la qualité d'une oeuvre et en déduire ses utilisations...) . Le 6 décembre 2006, la dernière décision de la Cour de cassation reprenait le principe qu'elle avait énoncé en 2003 en donnant raison aux deux plaignants.


Conclusion :
Les clauses "ND" des Creative Commons seraient caduques en vertu de la jurisprudence ? (la Cour de cassation étant la plus haute juridiction dans ce pays)

Source : Le Figaro.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce serait plutôt l'absence de clause ND (pas de modifications ou de travaux dérivés) qui poseraient problème : si le droit moral inaliénable et incessible d'un auteur lui permet, après coup, de s'opposer à une modification de l'oeuvre, l'autorisation de modification des licences Art Libre et Creative Commons (sans clause ND) serait caduque.

Pour ma part, il faudrait que je relise le passage sur le droit moral dans le CPI, mais j'ai toujours trouvé ce droit de s'opposer à certaines utilisations un peu étrange, et surtout très peu gérable dans la vraie vie (et donc peu appliqué dans la pratique). Les deux seuls droits moraux (sur quatre, théoriquement) qui me semblent clairs sont le droit de Paternité et le droit de retrait.

Il faudra que je me penche sur cette question.

Quoi qu'il en soit, je pense que ce que l'on peut dire sur ce jugement c'est que :
1 - le droit moral est imprescriptible, incessible et inaliénable, et il est logique que les clauses des contrats qui iraient contre la loi soient caduques ;
2 - cependant, la définition et la délimitation du droit moral (et en particulier son application dans la pratique) sont loin d'être claires.

Anonyme a dit…

florent dit
"mais j'ai toujours trouvé ce droit de s'opposer à certaines utilisations un peu étrange"

étrange? pourquoi?
Pour moi c'est au contraire le droit le plus évident.
En tant qu'artiste je veux garder le droit de ne pas contribuer à des actions que je conteste.

Sinon, Le Figaro, Barbelivien ... c'est un autre monde. Faudrait pas croire qu'un artiste libre bénéficierait du même traitement. Du moins pas tant qu'une organisation publique de gestion de leurs droits n'existe.

Anonyme a dit…

dogbreath a dit :
« Pour moi c'est au contraire le droit le plus évident. »

Moralement, il est évidemment important qu'un auteur puisse s'opposer à des utilisations de son œuvre, lorsqu'il estime que ces utilisations sont « mensongères » quant au message qu'il voudrait faire passer (où à l'absence de tel message, d'ailleurs). Ne pas voir son œuvre cautionner une idéologie ou une démarche que l'on ne cautionne pas, ça me semble important.

Ce dont il me semble important de discuter, c'est de l'opportunité de graver ça dans le droit moral. Puisque le droit moral est incessible, cela signifierait que l'on peut accepter une utilisation d'une œuvre, et ensuite la contester en vertu du droit moral. Bonjour l'insécurité juridique pour les éditeurs...

Je m'interroge donc sur la portée de cet aspect du droit moral, et sur ses interactions avec les cessions de droits patrimoniaux. Le droit de retrait, par exemple, est assez clairement balisé et limité : on peut demander le retrait d'une oeuvre, mais cela implique de dédommager les parties lésées (du coup, dans la pratique, les cas de retrait sont assez rares).

De plus, il me semble théoriquement possible de ne s'occuper des autorisations d'exploitation que dans le cadre des droits patrimoniaux : dans ce cas, le contrat prime... et il resterait possible de contester des contrats trop vagues (les cessions larges et non détaillées dans les contrats d'édition sont souvent abusives, et à ce titre contestables).

Unknown a dit…

Florent, j'ai l'impression que tu mélanges le droit moral et le droit patrimonial.

Pour qu'une requête basée sur le droit moral puisse être acceptée, il faut en donner les preuves. Dans le cas précis, il y a eu changement des paroles pour vanter un produit sans l'autorisation de leurs auteurs, malgrès un contrat antécédent. Il me semble important de préciser cela, il n'y a pas d'insécurité de l'éditeur dans ce cadre précis. Il y a peu d'artistes qui font valoir leur droit moral, tout simplement parce qu'ils n'en ont rien à faire et qu'ils tirent des bénéfices de n'importe quelle utilisation commerciale de leur oeuvre (ce serait se retourner contre leur moyen de subsistance et leur employeur, les mécanismes d'auto-censure sont ici très importants).
Voir P. Bourdieu "Sur la Télévision", pour comprendre les mécanismes d'auto-censure.

Cette décision précise un point, l'éditeur ne peut pas faire n'importe quoi des oeuvres dont il a la gestion commerciale. Il doit systématiquement demander l'autorisation à son auteur ou en préciser les contours dans le contrat (et pas seulement dire "j'autorise les utilisations commerciales comme dans les contrats CC"). Cette décision complique les choses pour les éditeurs mais recadre les us et coutumes de la profession en leur disant faites gaffe à ce que vous faites, il y a des limites à ne pas dépasser. Ces limites sont données par un juge qui estime de la recevabilité de la plainte et juge en connaissance de cause. On est pas dans "le monde de la jungle", au contraire, il y a un processus de modération plus fiable, à mon sens, que la seule confrontation entre l'auteur et l'éditeur.